Propositions Virvinne : quelles conséquences pour l'économie bretonne ?

Le nouveau projet gouvernemental dit du "contrat de mission" ou "super CDD" fait d'ores et déjà couler beaucoup d'encre et donne surtout déjà lieu à un concours d'hypocrisie de parts et d'autres de la classe politique hexagonale. La droite française a eu, en effet le culot d'ouvrir les hostilités en communiquant sur le thème "ce projet facilitera l'embauche "au chantier" et permettra la création de milliers d'emplois notamment dans le secteur du bâtiment". Outre le fait que la ficelle des "milliers d'emplois qui vont être créés" commence à être usée, il serait intéressant que les godillots locaux de Rafarrin (Josselin de Rohan en tête) qui ne manqueront pas de voter cette loi comme un seul homme, nous expliquent en quoi cela va "moderniser" et simplifier la vie économique en Bretagne.

Selon le rapport Virville, ce type de contrat n'aurait comme vocation de ne s'appliquer que dans le secteur de l'emploi qualifié (bien entendu le MEDEF a déjà fait savoir qu'il souhaitait son extension à tous les salariés) et entend adapter la législation à la logique de la "mission de chantier" plutôt qu'à la logique du CDI et de l'emploi pérénisé qui apparemment serait, selon ce rapport, le élément paralysant du développement de l'emploi dans certains secteurs. On peut donc déjà prévoir au vu des réalités de l'économie bretonne que ce "super CDD" ne profitera qu'aux grosses entreprises, notamment du bâtiment, et ne facilitera en rien le quotidien de nos PME et ne parlons bien sûr pas de celui des salariés.

Pourquoi un tel constat ? Aujourd'hui le secteur du bâtiment en Bretagne est composé avant tout du tissu dense de PME (en Bretagne 4 départements, 92% des entreprises dans l'industrie, le commerce et les services sont par exemple des PME de moins de 9 salariés), PME en manque cruel de personnel qualifié permanent et à l'existence souvent précaire. En effet, d'un côté celles-ci sont menacées quotidiennement par le vampirisme des grosses entreprises et les desiderata de ces dernières notamment en matière de sous-traitance et de l'autre elles sont écrasées par les charges et la pression fiscale d'un état français souvent moins pressé de recouvrer son argent quand il s'agit de faire payer à Citroën Rennes ses colossales factures d'électricités ou d'exiger à Mitsubishi Etrelles le remboursement de ses exonérations de charge par exemple, que d'envoyer l'huissier chez un petit entrepreneur ayant un retard d'URSSAF.

Aujourd'hui le gouvernement Raffarin pond une loi qui ne fera qu'aggraver cet état de fait et confirme l'orientation générale de ce gouvernement, ne rompant ainsi pas avec ses prédécesseurs socialistes d'ailleurs: privilégier les revenus de l'économie financière à ceux du travail.

Car il faut bien le dire ces "contrats de mission" ne profiteront qu'à ces filiales de Bouygues, Suez, Lyonnaise des eaux, etc... qui travaillent "au chantier" sur des projets très longs et qui usent et abusent déjà des missions d'intérim de longues durées et du travail à éclipse, qui usent et abusent de la concurrence déloyale et qui usent et abusent des entorses au code du travail et ceci au détriment des salariés et des petites PME donc des vraies forces vives de l'économie bretonne. Comment le Queen Mary 2, par exemple, s'est-il construit ? Les multiples grosses entreprises qui sont intervenues en sous-traitance notamment toutes les filiales de Suez (dont parmi elle la fameuse Endel qui avait construit et installée la passerelle effondrée) ont employées 6 ou 7 mois de l'année entrecoupées de périodes de chômage forcées des intérimaires parfois très qualifiés (ingénieurs par exemple) recrutés avec des contrats de dessinateurs ou techniciens mais accomplissant des missions bien éloignées des standards des dites professions. Et au-delà de ça, combien de salariés non-qualifiés ont été employés à SAINT-NAZAIRE par des grosses entreprises ou filiales de grosses entreprises avec des contrats de travail POLONAIS, THAILANDAIS ou ROUMAINS (je vous laisse imaginer les modalités de tels contrats pour le salarié) ?

Même si, comme nous le verrons plus loin, les "supers CDD" ne sont que la traduction dans le code du travail des diverses entorses et vides juridiques sur lesquels prospère l'intérim et ses contrats temporaires reconductibles et entrecoupables à l'infini, on se rend compte qu'en matière d'astuce sociale le grand patronat a, dans les faits, 2 ou 3 longueurs d'avance sur la plus scélérate des lois actuelles.

A l'heure où l'économie bretonne aurait avant tout besoin d'une baisse importante des charges et d'une simplification des démarches administratives pour les petites PME (et uniquement pour elles !) contre une augmentation massive des salaires et une modernisation des conditions de travail (principal moyen pour inciter les jeunes à choisir les filières techniques et professionnelles), -l'embauche dans ces secteurs n'ayant même pas à être encouragé tant les manques sont importants notamment dans le bâtiment-, le gouvernement Raffarin-Fillon propose une loi idiote et provocatrice basée sur le principe : " si on ne le fait pas maintenant alors que nous avons tous les leviers du pouvoirs, on ne le fera jamais " et tirée du fameux " projet de refondation sociale " du MEDEF. La Droite française vient donc de réinventer la machine à perdre par pur aveuglement idéologique et revanchard. En gros ce qu'elle reprochait -à juste titre- à la gauche.

Et le pire est que le cortège de faux-jetons du PSf, des Verts et du PCF commence à hurler à l'attentat social alors que ce projet de loi n'est que l'exacte continuité de ce qui existait déjà en matière d'intérim notamment sous leurs propres législatures. Ce n'était tout de même pas sous un gouvernement UMP que l'intérim s'est développé et les passe-droits qui vont avec ? Quelle différence existe t'il entre des contrat d'intérim d'un an, reconductibles à l'infini avec coupures de 2,3,4 mois (norme quasi-généralisée pour certaines professions qualifiées qui sont maintenant totalement "intérimisées" dans les grosses entreprises  ex: dessinateur, technicien de projet, etc...) et le fameux "contrat de mission" du rapport Virvinne ? Combien de chantiers urbains commandés par des mairies "de gauche" ont été exécutés dans des conditions sociales déplorables avec force recours à des "supers CDD" avant l'heure ? Le métro de Rennes, par exemple, construit sous une municipalité PSf/Verts/PCF/UDB/Radicaux de gauche est-ce l'affreux MEDEF et l'horrible Raffarin qui ont avalisés sans broncher les multiples entorses au droit social ou qui a permis de faire venir et faire travailler les fameux "turcs du métro" dans des conditions scandaleuses proches de ce qu'on connaît aujourd'hui aux chantiers de l'Atlantique ? Et les "grands chantiers d'Etat de l'ère Miterrandienne, ils ont été réalisés avec des ouvriers et de techniciens bénéficiant des glorieuses "réalisations sociales de la gauche" peut-être ?

Aujourd'hui, nous bretons, devons préparer une chose essentielle et inévitable et qui s'appelle la DESINDUSTRIALISATION qui touche déjà la Bretagne et qui changera dans les décennies à venir totalement la vie sociale de notre pays; or pour se faire nous devons réfléchir ensemble au futur de la Bretagne en tenant avant tout compte des réalités économiques, sociales, culturelles et géographiques bretonnes et non de je ne sais quel prêt-à-penser idéologique universaliste donc forcément applicable sans nuance majeure de Tokyo à Brest. De la même manière, et on le voit avec ce projet de loi désastreux, nous n'avons, pour mener cette réflexion, aucunement à nous déterminer par rapport aux oukases et lubbies passagères de la droite ou de la gauche françaises, n'ayons plus peur de proposer aux bretons des solution originales et nationalistes même si pour cela nous devons nous faire traiter de gauchistes un jour, de poujadistes un autre et de centristes le lendemain par des pisses-petits aux horloges politiques toujours bloquées à des époques révolues.

Le propos ici n'est pas d'être inutilement alarmiste mais parlons vrai: quid de l'avenir des chantiers navals de Saint-Nazaire dans 10 ans ? Citroën-la Jannais (premier employeur privé de Bretagne) sera t'elle encore en Bretagne dans 15 ans ou aura t'elle été délocalisée en Chine ? Et Gomma ? Les arsenaux de Brest et Lorient ? Chaffoteaux Saint-Brieuc ? La Bretagne comme l'ensemble de l'Europe devrait subir un révolution économique et "sociétale" bien plus importante que la révolution agricole d'après-guerre et à cela nous ne sommes pas assez préparés car nous restons tributaires des choix français de déconcentration des pouvoirs et du tissu économique -traduire : " centralisation dans les pays de Rennes et Nantes "- alors qu'il faudrait à la Bretagne, pour commencer, une large autonomie de pouvoir et une " fédéralisation " des activités.

Nous avons également un formidable défi à relever en matière d'exportation malheureusement du grand et moyen patronat (Crédit Mutuel ou CCIs en tête) aux partis de gauche en passant par De Rohan on continue à mendier quelques minutes de TGV en moins vers Paris, à appuyer à la construction d'un aéroport inutile et non-tourné vers le fret et à éviter de penser à la reconversion de la Penfeld de Brest ou à l'achèvement de la mise en 2x2 voies de la RN164. Là encore notre secteur économique a avant tout besoin d'être directement reliés par rails et autoroutes aux grandes capitales européennes, d'être aisément accessible même en Centre-Bretagne, d'avoir un aéroport "souple" prêt de chez soit et un grand port international à Brest. Mais pour cela encore faudrait il les moyens politiques et institutionnels adaptés.

On le voit, la question de ces "supers-CDD" en soulève une nouvelle plus vaste toujours non-résolue: où va le monde économique et salarial breton ?

Avec la droite et la gauche française: vers une finistération progressive à coup sûr. Car avec un camp libéral engoncé dans son aveuglement de la croissance infinie et de l'injustice sociale et un camp dit de gauche bloqué sur une grille idéologique totalement dépassée et des corporatismes contre-natures le tout évoluant dans une pensée unique française en matière institutionnelle rigidifiée dans son centralisme nous ne pouvons rien espérer d'autre que de devenir l'un des cul-de-sac d'une Europe dont le centre de gravité se déplacera à l'avenir de plus en plus vers l'Est.

Institutionnellement le " mouvement breton " est plus ou moins d'accord sur le principe " d'autonomie progressive ", socialement et économiquement il lui reste encore à se libérer des solutions toutes faites d'outre-Couesnon.

Fabien Lécuyer